Edmond Jouve
en Peuples/Popoli/Peoples/Pueblos, n. 8 (octobre 1986)
En France, les droits des peuples germeront dans le terreau révolutionnaire. Pour l’essentiel, l’accent est mis sur la liberté et la souveraineté des peuples. La Constitution jacobine du 24 juin 1793 dispose même, en son article 35, «quand le Gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs». L’abbé Grégoire, dans son projet de Déclaration du droit des gens (4 floréal an II) pose le principe -qui n’a, en rien, perdu de son actualité- que «quel que soit le nombre d’individus qui les composent et l’étendue du territoire qu’ils occupent,… les peuples sont respectivement indépendants et souverains».
Ces idées feront si bien leur chemin que la révolution française de 1848 suscitera une explosion des nationalités, elle-même à l’origine de ce qu’on appellera «le printemps des peuples». Quelques années plus tard, Marx popularisera l’idée qu’un peuple qui opprime d’autres peuples ne saurait être libre. La Révolution russe ira au-delà. Le 2 novembre 1917, le Soviet des Commissaires du peuple adopte une Déclaration des peuples de Russie qui énonce les droits dont ceux-ci sont titulaires: égalité et souveraineté, droit à disposer d’eux-mêmes, libre développement des minorités nationales et des groupes ethniques.
Les deux conflits mondiaux replaceront les droits des peuples dans l’actualité la plus brûlante. Cependant, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’est pas inscrit dans le pacte de la SDN. Il n’en ira pas de même pour la Charte des Nations Unies dont le préambule s’ouvre par ces mots: «Nous, peuples des Nations Unies…» Selon son article 1er, l’ONU reçoit mission de «développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes». La Charte, cependant, ne tirait pas toutes les conséquences de ces dispositions. Par la suite, un droit de la décolonisation, issu de la pratique des Nations Unies, complétera ce texte. Il permettra l’épanouissement de droit des peuples.
La souveraineté sera considérée comme le premier de ces droits. L’ONU estime même, dans la résolution 637 (VII) du 16 décembre 1952, que le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes est «une condition préalable de la jouissance de tous les droits fondamentaux de l’homme”. Depuis cette date, cette exigence a été constamment réaffirmée. Cet approfondissement est allé de pair avec un certain élargissement. D’autres droits sont nés: ceux qu’on a appelés droits de «la troisième génération» où droits de solidarité. Des textes leur ont donné leurs lettres de noblesse, en particulier la Déclaration universelle des droits des peuples qui dispose (article 12): «Les droits économiques… doivent s’exercer dans un esprit de solidarité entre les peuples du monde et en tenant compte de leurs intérêts respectifs», et (article 18): «Tout peuple doit tenir compte de la nécessité de coordonner les exigences de son développement économique et celles de la solidarité entre tous les peuples du monde». Plus tard, en 1981, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples a elle même fait écho à ce principe. Son article 29 dispose: «Le principe de solidarité et de relations amicales affirmé implicitement par la Charte de l’Organisation des Nations Unies et réaffirmé par l’Organisation de l’Unité africaine doit présider aux rapports entre les Etats.»
Les droits des peuples paraissent donc s’articuler, aujourd’hui, autour des notions de souveraineté et de solidarité. L’article 1er des Pactes adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies, le 16 décembre 1966, énonce: «Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel». Ainsi, le principe d’autodétermination irradie le droit des peuples. C’est le pivot des droits collectifs. Il fait des peuples les titulaires de droits politiques (droit de déterminer librement son statut international et son statut politique interne), droits économiques (pour l’essentiel, droit des peuples à disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles), droits culturels, droits sociaux.
Aussi importants que soient les droits qui s’apparentent à la souveraineté des peuples, ils ne constituent pas la totalité des droits des peuples. Un autre volet est constitué par les droits de solidarité. Ils permettent aux peuples de se prévaloir, en particulier, de droits au développement, à la paix, à la sécurité, à la communication et à un environnement sain.
Les droits des peuples sont donc, à la fois, anciens et divers. L’un des mérites de la Déclaration universelle des droits des peuples, adoptée à Alger en 1976, a été de les rassembler dans un texte unique et solennel.
Jouve, Edmond
en: Peuples/Popoli/Peoples/Pueblos, n. 8 (octobre 1986)