Raniero La Valle
en Peuples/Popoli/Peoples/Pueblos, n. 8 (octobre 1986)
C’est dans ce contexte qu’il faut situer et se souvenir de la date du 4 juillet 1976, il y a dix ans, lorsque la “Déclaration universelle des droits des peuples” a été proclamée à Alger, à l’initiative de Lelio Basso et de représentants d’États, de peuples et de mouvements de libération du monde entier. Il ne s’agissait pas d’une entreprise improvisée : toute l’expérience des tribunaux Russell I et II, d’abord sur le Vietnam et ensuite sur l’Amérique latine, et des autres initiatives juridiques et politiques qui, au fil des ans, avaient essayé d’énucléer et de défendre un droit des peuples à côté et en face du droit des Etats, et elle reflétait naturellement toute l’expérience de la lutte des peuples qui avaient essayé et tenté de s’affirmer même contre les ordres établis dans le long et ardu exode de la nuit du colonialisme.
La nouveauté réside dans le fait que, alors que jusqu’à présent on parlait des droits de l’homme comme du contrôle critique suprême du droit des Etats, et que ces droits de l’homme se référaient souvent à un homme assumé dans son individualité et son abstraction, qui n’existe nulle part, on se référait ici au droit des hommes et des femmes historiquement unis et organisés ensemble, identifiés en peuples, assumés dans leur diversité et reconnus dans leur égale dignité et leur destin ; et ce droit des peuples était le contrôle critique du droit des Etats et du droit international.
L’autre nouveauté est que, en brisant les délais, les promoteurs de la Déclaration d’Alger, bien que dépourvus de pouvoirs et de représentation formelle, ont assumé une fonction de substitution et ont défini les droits fondamentaux des peuples dans une constitution, donnant ainsi une voix aux peuples encore sans voix et préfigurant et anticipant ce qui pourrait être un jour une véritable Constituante des peuples.
Les droits proclamés par la “Déclaration universelle d’Alger” étaient le droit à l’existence (non seulement physique, mais aussi dans l’identité nationale et culturelle), le droit à l’autodétermination politique (y compris la liberté démocratique du régime interne), les droits économiques, le droit à la culture, le droit à la protection de l’environnement et à l’utilisation des ressources communes, le droit des peuples à être sauvegardés en tant que tels, même lorsqu’ils sont minoritaires dans des entités étatiques plus importantes.
De l’initiative constituante d’Alger, toujours sous l’impulsion créative de Lelio Basso, sont nées trois institutions internationales : la Fondation internationale pour le droit et la libération des peuples, la Ligue aux objectifs similaires mais avec des caractéristiques prédominantes de militantisme de base, et le plus connu Tribunal permanent des peuples, qui a pour tâche de déclarer et d’appliquer le droit des peuples (bien que sans aucune force coercitive) à des cas concrets (comme il l’a fait pour les Philippines, l’Argentine, le Salvador, l’Érythrée, l’Afghanistan, etc.)
Lorsque cette aventure a débuté il y a dix ans, il semblait que l’histoire allait dans ce sens : l’impérialisme était en crise, le Vietnam avait gagné, la détente était en cours, et même en Italie une nouvelle ère semblait s’ouvrir.
Mais aujourd’hui ? Le bilan de ces dix années est très négatif. La restauration a duré dix ans : les mailles de la domination se sont resserrées, les processus de libération ont été bloqués, la course au réarmement a repris, le seuil de la militarisation de la terre à l’espace a été franchi, de même que celui des nouvelles armes non conventionnelles, invisibles et à action instantanée (armes énergétiques) ; non seulement on tente de restaurer les anciens impérialismes, d’un monde encore bipolaire, mais on tente d’affirmer un impérialisme d’un nouveau type, planétaire, agissant à travers des circuits de pouvoir différents et interconnectés, la technologie, la culture, la langue, le dollar, le commerce, l'”aide”, l’idéologie, la religion, et brandissant, comme arme structurante et décisive, la puissance militaire ; c’est l’impérialisme d’un seul empire, dans lequel l'”autre” monde n’est pas tant conquis qu’absorbé, pas tant vaincu qu’assimilé, pas occupé militairement mais toujours et dans tous les cas placé sous l’ombre menaçante d’un énorme talon militaire.
C’est le système de la guerre, dans lequel il n’y a pas de place pour le droit des peuples, mais il n’y a pas non plus de place pour le droit international traditionnel, le droit des sociétés, contracté entre les États ; et de fait, le droit international est aujourd’hui en crise, la Charte des Nations unies est dépassée, le principe de majorité à l’ONU est bafoué, la Cour de La Haye est récusée, les traités existants sont considérés comme impuissants et obsolètes ; le Prince est à nouveau sur le trône, l’Occident redécouvre Machiavel, tandis que l’Amérique, qui ne connaît pas Machiavel, se transforme de République en Saint Empire.
L’horizon s’est donc assombri et de nombreuses illusions sont tombées. Mais attention : cela ne concerne que la gravité de l’analyse, cela ne signifie pas du tout le pessimisme du pronostic. En fait, les espoirs sont allumés, l’avenir est encore à jouer. Les peuples ne se résignent pas, le monde réduit à un seul empire est improbable, le Nicaragua est toujours là, les armes les plus sophistiquées aveuglent et même échouent à bombarder Tripoli, les centrales nucléaires tombent en panne ; et la force, plus elle présume d’elle-même, plus elle révèle son impuissance ultime, alors que même parmi les grands, certains parlent désormais non plus de domination, mais d’interdépendance, de coopération, d’un monde où plus personne ne peut résoudre seul les problèmes, mais où chacun doit se préoccuper de la vie de tous. Ce sont les signes, les anticipations de l’avenir ; ceux qui brandissent encore boucliers, armures et lances, même invisibles, ceux qui manient la hache, sont dans le passé, ils ne sont pas encore sortis des cavernes, ils peuvent peut-être détruire le monde, certainement pas le dominer.
Le jeu des droits des peuples n’est donc pas fermé. Au contraire, elle ne fait que commencer, et la victoire est pratiquement exclue.
La Valle, Raniero
en: Peuples/Popoli/Peoples/Pueblos, n. 8 (octobre 1986)