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La régulation des économies de marché peut être fondée sur le respect des droits économiques, sociaux et culturels.

    Gustave Massiah

    en Hommage à Léo Matarasso

    Le tournant de Seattle, un événement porteur d’incertitudes.
    L’échec des négociations ne peut pas être imputé au seul mouvement de contestation. Les contradictions au sein des pays du Nord ont probablement été déterminantes. Et particulièrement la décision américaine de ne pas négocier; la croissance n’a pas besoin d’être dopée par un nouvel accroissement des échanges, et la période électorale nécessite de ménager les syndicats et les mouvements écologistes. Les nouvelles avancées dans les négociations sont reportées à deux ans, après le passage à une nouvelle direction politique américaine.
    Le tournant de Seattle ne tient pas à l’échec des négociations mais à ce que cet échec a révélé. Il a mis en évidence les positions des mouvements qui, de la contestation de l’AMI à celle de l’0MC, remettent en cause le cours dominant de la mondialisation, et non la mondialisation. Il a légitimé la recherche d’alternatives et donné un nouveau souffle aux mobilisations, et accru la confiance des mouvements porteurs d’initiatives et de propositions.

    Les contradictions de la pensée libérale.
    Après les crises en Amérique du Sud et Centrale, en Asie et en Russie, le débat fait rage dans la pensée libérale. Il a porté sur la nature de la régulation, le rôle de l’Etat et des institutions internationales.
    Milton Friedman persiste et signe dans sa foi dans le seul jeu du marché financier et sa défiance de la démocratie ; Jeffrie Sachs est empêtré dans ses responsabilités dans la réforme en Russie. A l’inverse, Jo Stiglitz explicite l’importance de l’Etat et du cadre institutionnel, y compris pour privatiser; il oppose l’intérêt de la voie chinoise au chaos russe.
    Il en ressort que la direction néo-libérale de la mondialisation n’est pas une fatalité. La dérégulation totale est un moyen, elle n’est pas forcément le but. Les marchés financiers ont leur logique; ce n’est pas celle de l’ensemble des groupes financiers et industriels. Ils ont une claire conscience de leurs intérêts et de leurs profits; ils n’estiment pas nécessaire de proposer un projet pour toute la société.

    Une réflexion programmatique, le développement durable.
    La nécessité d’un nouveau développement s’impose; elle devient d’actualité avec la crise de la pensée libérale. Au delà des effets de mode, le développement durable offre une piste. A condition de ne pas considérer qu’il doit être l’inverse du modèle dominant. Le bon développement n’est pas juste l’inverse du mal développement, il ne s’agit donc pas de prendre le contrepied de l’ajustement structurel. Ce n’est pas parce que le modèle dominant idéalise le marché que le modèle alternatif devrait reposer sur sa négation.
    Comment faire la part entre la continuité et la rupture en matière de modèle de développement ? En partant des propositions portées par les mouvements, celles qui ont été discutées dans les forums civils des grandes conférences multilatérales, á Rio, à Copenhague, à Vienne, à Pékin, au Caire, à Istanbul.
    Ce sont ces propositions qui ont convergé à Seattle. On y retrouve les grandes lignes pour un développement économiquement efficace, écologiquement soutenable, socialement équitable, démocratiquement fondé, géopolitiquement acceptable, culturellement diversifié.
    Ces pistes doivent être explorées, leur cohérence vérifiée; il ne s’agit pas encore d’un programme.

    Un mouvement d’opinion à l’échelle mondiale.
    Dans les années précédentes, ces mouvements ce sont ancrés; ils ont travaillé, confronté leurs points de vue. Ils ont créé un espace international de discussion. Les forces sociales qui portent la volonté de chercher un autre mode de développement sont constituées par des mouvements de solidarité, des droits de l’homme, contre la purification ethnique, de consommateurs, de travailleurs, de paysans, féministes, contre les discriminations, de solidarité internationale. Il faut y rajouter, depuis quelques années, des mouvements qui définissent leurs actions directement dans le champ de la mondialisation. Citons, par exemple, les campagnes pour l’annulation de la dette, pour la réforme des institutions financières internationales, pour la taxation des transactions financières et l’interdiction des paradis fiscaux, la contestation de l’organisation mondiale du commerce.
    La dynamique a été, dans un premier temps, le passage de mouvements sectoriels à des mouvements qui se définissent comme des mouvements citoyens. Dans un deuxième temps, ces mouvements ont cherché à définir leur champ d’action et de réflexion á l’échelle pertinente, celle de la mondialisation. Ils sont à la recherche de la citoyenneté mondiale, de l’opinion publique internationale, de la conscience universelle.

    La société civile, l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène internationale.
    La représentation, qui met face à face les états et les entreprises, n’est plus suffisante. La question mondiale modifie le rapport entre la question nationale et la question sociale qui a marqué pendant plus d’un siècle le débat stratégique. Les Etats sont contestés par le haut, la mondialisation, et par le bas, la revendication de démocratie de proximité. De nouveaux acteurs interviennent sur la scène internationale. Les collectivités locales et les associations portent les deux formes de représentation, la délégation et la participation.
    La société civile, terme impropre mais commode, exprime cette évolution. Le mouvement associatif est certes divers et contradictoire. Avec la décentralisation, il peut servir à légitimer un renouveau de la dimension politique et à renouveler les couches dirigeantes. Cela serait déjà utile, mais ne serait pas fondamentalement nouveau. Sans sous-estimer l’importance du pouvoir d’Etat dans la transformation sociale, le mouvement associatif est porteur d’une approche plus fondamentalement nouvelle.
    Plus que la conquête de nouveaux pouvoirs, de contrepouvoirs de contrôle du pouvoir, le mouvement associatif est porteur de la conquête de nouveaux droits.

    Une ligne directrice, le droit international ne doit pas être subordonné au droit des affaires.
    A Seattle, une idée simple se dégage; le droit international ne peut pas être subordonné au droit des affaires. Cette évidence est issue de la remise en cause de l’Organe de Règlement des Différends qui est au coeur de l’OMC. A l’origine de cette prise de conscience, le fait que l’ORD puisse juger en dehors des accords multilatéraux, qu’il n’y ait pas de recours possible.
    A partir de là se dégage l’idée que le droit international ne peut être fondé que sur le respect des droits de l’homme, des droits civils et politiques, des droits économiques, sociaux et culturels. Le fondement du droit international, ne peut être que la déclaration universelle des droits de l’homme.
    On peut répondre à l’idée simple, voire simpliste, que la libéralisation permet de répondre à tout, qu’il suffit de faire confiance au marché, de privatiser et de favoriser le capital international, seul porteur d’efficacité et de modernité. La réponse est que la modernisation progressiste est celle du respect, de la garantie et de l’approfondissement des droits fondamentaux; que les droits économiques, sociaux et culturels permettent la régulation la plus intéressante des marchés, que la nouvelle politique économique est celle qui organise l’accès de tous aux services de base.
    Le droit international est porteur d’une nouvelle modernité.
    Il permet aux mouvements citoyens dans chaque pays de se mobiliser pour faire avancer les situations. Il peut permettre aux citoyens d’avoir un recours, si leurs droits sont violés.
    Prenons un exemple. En France, après l’occupation d’un immeuble inoccupé, Boulevard René Coty , par des familles de sans logis soutenues par l’association Droit au Logement (DAL), la mairie de Paris, après jugement du tribunal de première instance, avait fait évacuer l’immeuble par la force et avait fait détruire tous les planchers pour empêcher toute occupation.
    La Cour d’Appel de Paris, statuant à la demande du DAL, et se référant à la signature par la France de conventions internationales reconnaissant le droit au logement, avait condamné la mairie de Paris à reloger les familles. Les associations se sont saisies de ce jugement pour développer les luttes pour l’accès au logement.
    Les Etats doivent accepter l’idée que les droits économiques, sociaux et culturels peuvent constituer des contraintes.
    Les acteurs économiques, entreprises et opérateurs des marchés commerciaux et financiers, doivent respecter les règles établies par les conventions internationales et les traités. Comme pour les droits civils et politiques, il faut obtenir la mise en place d’un système international de plaintes, d’un recours pour les citoyens.

    Massiah, Gustave

    en:

    Hommage à Léo Matarasso, L’Harmattan, Paris, 2004

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    Léo Matarasso