Kasra Mofarah
en Peuples/Popoli/Peoples/Pueblos (janvier 1994)
Il faudra cependant attendre la création des Nations Unies pour que ce principe soit élargi et réellement mis en application (cf la Charte de 1945: le préambule et les chapitres consacrés aux peuples dépendants). L’organisation des Nations Unies se dotera d’un Conseil de Tutelle afin de préparer certains territoires non autonomes à l’indépendance. Le 14 décembre 1960 est adoptée la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. De nombreuses autres résolutions, adoptées sous la pression des mouvements de libération, vont accélérer le processus de décolonisation. Au niveau non plus collectif mais individuel, en 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme se pose contre la discrimination raciale, linguistique, ethnique, religieuse ou sous toute autre forme (art.2). A la demande de la Yougoslavie, cet article concernera les peuples indépendants ou non. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes recouvre alors principalement la décolonisation et le droit à l’autodétermination externe c’est à dire à l’indépendance. En même temps que les nouveaux Etats se multiplient, le contenu du droit des peuples va s’élargir et recouvrir le droit à l’autodétermination politique (au niveau international et interne), économique, culturelle et sociale.
En 1976 à Alger est adopté par un ensemble de personnalités, la Déclaration universelle des droits des peuples. Cette «Charte» développe l’ensemble des droits des peuples et veut placer les peuples, en tant que sujet de droit, au centre d’un système juridique nouveau et utopiste, en opposition à un droit international hypocrite où l’Etat est le seul représentant souverain des peuples.
Nombre d’analystes de politique internationale considèrent l’année 1989 comme la dernière vague de décolonisation. En effet, la fin de la guerre froide et l’implosion de l’Empire soviétique ont permis le dégel et la fin d’une domination vieille d’un demi siècle. Depuis 1989, l’Europe Centrale et Orientale, le Caucase, l’Asie Centrale se sont libérés de l’Empire, et les peuples désireux d’autonomie sont à la recherche de leurs territoires et de ses limites.
Dans le reste du monde s’accentuent les problèmes globaux, tels que les crises économiques successives, la paupérisation, le déficit de l’emploi, le sous-développement, les menaces écologiques, ce qui peut rendre inquiétant l’avenir de l’humanité. Les mouvements de population, le système planétaire de communication ont entraîné une crise des identités. Les frontières disparaissent en Allemange, au Yémen, en Europe. De nouvelles réapparaissent, en URSS, en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie, en Ethiopie et peut-être… en Italie ou en Belgique. Peut-on soutenir les sacro-saints principes du droit international d’intangibilité des frontières et d’intégrité territoriale dans un tel contexte? Il le faudrait car ils protègent la souveraineté de l’Etat en tant que droit à l’autodétermination interne du peuple ou du démembrement de l’Etat, mais une certaine souplesse doit-être nécessaire. En effet, le concept d’Etat-Nation même est en crise et le citoyen titulaire d’une parcelle de la souveraineté nationale reste impuissant dans de nombreux domaines et notamment la vie internationale. D’autre part, le citoyen se définit d’abord par opposition à l’étranger. En France par exemple, l’incapacité politique de ceux-ci reste une règle absolue, ailleurs, minorités, autochtones ou différentes ethnies sont souvent considérées comme étranger. Dans le contexte actuel de repli identitaire, il semble donc nécessaire de repenser une «nouvelle citoyenneté» à trois niveaux convenant à l’entité communautaire, respectant l’intangibilité des frontières et répondant aux nécessités globales, internationales et humanitaires.
Le «devoir d’ingérence» illustre-t-il aussi l’adaptation du droit à l’évolution rapide que connaît cette fin de siècle? Mais cette adaptation dépend d’abord de la volonté politique.
Le déblocage actuel de la situation israélo-palestinienne est bien la preuve du rôle déterminant de la volonté politique, alors que le droit était depuis longtemps posé en la matière.
Le droit des peuples est donc, s’il en est, une question d’évidente actualité. Encore à titre d’exemple la consécration par l’ONU de l’année 1993 comme année des populations autochtones. Une conférence internationale sur les droits de l’homme et pour une grande part sur les minorités s’est tenue sous l’égide de l’ONU à Vienne en juin 1993. Cette conférence a mis en évidence la difficulté de définir, non seulement les entités sujets de droit international mais aussi leurs droits. Ces problèmes de définition se posent avec une gravité extrême dans le cas du conflit yougoslave, conflit où le droit international et le droit des peuples posé tel quel, mènent à l’impasse.
Mofarah, Kasra
en: Peuples/Popoli/Peoples/Pueblos (janvier 1994)