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Respect des droits et mondialisation

    Gustave Massiah

    en Hommage à Léo Matarasso, Séminaire sur le droit des peuples, Cahier réalisé par CEDETIM-LIDLP-CEDIDELP, Février 1999

    Le droit mondial, reconnaît essentiellement les Etats sur la scène internationale, alors que d’autres acteurs, les entreprises internationales particulièrement, sont plus puissants.
    Permettez-moi, bien que je ne sois pas juriste, de réfléchir un peu en prospective.
    Comment ce chantier du droit mondial peut-il permettre de poser un certain nombre de questions politiques et permet-il de construire le mouvement social qui va le porter, puisqu’un mouvement social se forme aussi par rapport à un projet et n’est pas forcément préexistant au projet ?

    Il y a des choses qui sont en train de changer. D’abord, et je reprends l’idée évoquée par Philippe Texier, le problème des droits, c’est d’abord le problème de la violation des droits. Le responsable, c’est celui qui viole un droit. Donc, si une entreprise viole un droit elle est a priori condamnable, au même titre qu’un mouvement de guérilla qui, après tout, lui aussi pourrait être jugé.
    Dans les journées d’hommage à Henri Curiel, Ilan Halévy avait fait une intervention qui avait trait au terrorisme. Il avait dit que le problème n’était pas l’existence du terrorisme, mais qu’il y avait des choses que nous trouvions normales autrefois et qu’aujourd’hui nous ne trouvons plus normales. Il faut donc regarder les choses par rapport à l’évolution du débat politique.
    Il en avait tiré un certain nombre de conséquences sur ce qu’est ou n’est pas le terrorisme, sur l’implication, en particulier, de la population civile. Il y a une évolution des consciences, il faut en tenir compte.
    Donc, je pense pour ma part qu’une entreprise qui viole un droit doit pouvoir être condamnée. Alors qui peut la condamner? Auprès de quelles instances peut-elle l’être ? Il y a plusieurs possibilités.
    Nous avions proposé, il y a quelques années, au cours de la session du Tribunal Permanent des Peuples sur le FMI et la Banque Mondiale, en 1988 à Berlin, qu’auprès de la Cour Internationale de La Haye soit créée une commission qui pourrait juger de la légitimité de la dette, liée à des projets non-réalisés ou à la corruption de certains dirigeants.
    En effet, il y a des investissements et il y a des dettes liées à ces investissements. Dans le droit national, il y a des dettes qui sont illégitimes et les banquiers sont en partie responsables de ces dettes. On peut donc réfléchir sur la part de responsabilité des acteurs internationaux dans la dette de certains Etats. Cette question est actuelle. Est-ce qu’il y a des instances capables d’en juger et par qui peuvent-elles être saisies ?

    C’est le débat posé par exemple, par le projet d’accord multilatéral d’investissement (AMI) qui a été mis en échec par les mobilisations citoyennes. Dans l’accord sur l’AMI, il était dit que les entreprises devaient pouvoir attaquer les Etats. Beaucoup de défenseurs des Etats se sont demandés pourquoi les Etats ne pourraient pas aussi attaquer les entreprises. De fait, ils peuvent le faire. Notre question, à nous, était de savoir pourquoi les associations citoyennes (de consommateurs par exemple) ne pourraient-elles pas, elles aussi, saisir les tribunaux par rapport à des investissements. Après tout, quand on se souvient des “affaires” Shell-Bhopal-Total, on voit que certaines responsabilités sont évidentes; et pourquoi, dès lors, la société civile victime de certaines entreprises ne pourrait pas saisir telle ou telle instance ?

    La deuxième question est celle du respect des droits sociaux, économiques et culturels qui dépassent les acteurs économiques.
    C’est la question la plus importante. Par exemple, si un Etat doit assurer le droit au logement, au travail, comment est-ce possible ? Il y a plusieurs pistes de réflexion possibles.
    L’une d’elles est de définir un noyau de droits que les Etats devraient respecter. Les mouvements sociaux en France sur la loi sur l’exclusion avaient fait la proposition de garantir des revenus supérieurs au seuil de pauvreté. Le seuil de pauvreté est défini de façon relative, c’est la moitié du revenu médian du pays. Nous demandions donc qu’en Europe (puisque les mouvements sociaux s’exprimaient dans le cadre du débat européen), personne ne puisse vivre au dessous du seuil de pauvreté, et donc que soit créé un revenu minimum directement lié aux possibilités de chaque pays, puisque défini par rapport aux possibilités de chaque pays.
    Il y a un ensemble de droits dont l’application est fonction du niveau économique de chaque pays, mais donc le principe est universel. Nous pouvons aller encore plus loin. Il y a peut-être des pays qui ne peuvent pas assurer certains droits, qui ne peuvent pas assurer un droit minimum à la santé, à l’éducation, au revenu de survie; donc, il y a un problème de redistribution mondiale. Nous ne pouvons pas réfléchir aux problèmes des droits économiques, sociaux et culturels sans reposer le problème de la distribution mondiale des richesses. A ce propos, le rapport du PNUD de 1998 est très intéressant. Il indique que les 225 plus grosses fortunes particulières représentent le revenu de 47% de la population mondiale. De plus, il ajoute que 4 % de prélèvement sur ces fortunes permettrait de payer l’ensemble des services de base pour toute l’humanité.
    A partir du droit donc, nous pouvons poser des questions politiques fondamentales, comme celle de la redistribution. Et, c’est peut-être de cette façon que nous pourrons aussi construire les forces sociales porteuses de ce droit mondial. Car on ne peut pas relancer la bataille du droit international sans avoir un minimum de points de vue, de textes, de propositions qui soient un projet politique et économique mondial, dès lors que l’enjeu se situe au niveau du droit mondial.

    (Voir en complément le texte situé dans la section suivante de Gustave Massiah intitulé: “La régularisation des économies de marché peut être fondée sur le respect des droits économiques, sociaux et culturels”.)

    Massiah, Gustave

    en:

    <strong>Hommage à Léo Matarasso, Séminaire sur le droit des peuples
    Cahier réalisé par CEDETIM-LIDLP-CEDIDELP, Février 1999
    L’Harmattan, Paris, 2004</strong>

    Étiquettes:

    Léo Matarasso