Léo Matarasso
in Archivio Fondazione Basso
1 – Votre Tribunal est saisi d’un certain nombre d’accusations visant des gouvernements de pays d’Amérique Latine. Les accusateurs reprochent à ces gouvernements des atteintes graves aux Droits de l’Homme. Vous aurez à examiner les faits allégués et les preuves à l’appui. Mais une question se posera à vous, comme à tout Tribunal : celle de savoir quelles sont les règles de droit dont ces faits constituent la violation.
2 – Ce sont ces règles de droit que nous voulons rappeler sommairement dans ce rapport introductif.
Il nous faut d’abord définir la notion même de Droits de l’Homme, en résumer l’histoire, en souligner l’évolution, en analyser le contenu.
3 -Il nous faudra, ensuite, examiner les divers textes de caractère international consacrant les Droits de l’Homme, et la portée de chacun d’eux. En sus des textes de caractère universel, il faudra rappeler les textes, de caractère international, propres à l’Amérique Latine.
4 – Enfin, nous devrons nous interroger sur la question de savoir quels sont les droits de la communauté internationale en cas de violation des Droits de l’Homme dans tel ou tel pays souverain.
Etant donné l’ampleur du sujet qu’il nous a été demandé de traiter, le présent rapport ne peut comporter que des indications tout à fait élémentaires.
Chapitre Ier – Définition et histoire des droits de l’homme
5 – On emploie souvent indifféremment les expressions «Droits de l’Homme» et «Libertés Publiques». Dans le vocabulaire anglo-saxon, les expressions correspondantes sont «Human Rights» et «Civil Rights».
En fait, la notion de Droits de l’Homme est une notion plus philosophique que juridique, qui consiste à reconnaître à tout homme, par le fait même de son existence, une vocation à un certain nombre de libertés. Ce sont ces libertés que l’on appelle les «Libertés Publiques», consacrées par le droit positif des états et même par des textes internationaux, dont le principal est la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948.
6 – Les Droits de l’Homme peuvent donc se définir comme la reconnaissance, au profit de tout d’un certain nombre de libertés publiques, dont le contenu est précise par le droit positif. Ce contenu a varié avec le temps et l’on peut dire aujourd’hui, que les Droits de l’Homme comprennent, en gros, les règles relatives à la sûreté de la personne, aux libertés de la personne physique, aux libertés de la personne intellectuelle et morale, aux libertés sociales et économiques. En outre, il y a un lien étroit entre les libertés publiques et le régime constitutionnel et politique.
7 – A l’origine des Droits de l’Homme, se trouve d’abord la tradition libérale anglaise. Le premier texte qui doit être cité est la Grande Charte, imposée en 1215 à Jean-Sans-Terre par les barons révoltés. C’est la première limitation des droits de la couronne, jusque-là toute puissance. Certes, la Grande Charte ne reconnaît pas des droits à tous les hommes sans distinction, mais seulement aux seigneurs. Elle n’en constitue pas moins la première limitation écrite des pouvoirs du souverain.
On peut continuer à énumérer les textes anglais par la Pétition des Droits (1627), l’acte d’habeas corpus (1679), ce dernier organisant de façon efficace la protection des sujets contre les détentions arbitraires, le Bill des droits (1688), l’Acte d’Etablissement (1701).
Ainsi qu’on l’a fait remarquer, ces divers textes ne procèdent d’aucune idéologie. Ils sont destinés à empêcher des abus précis par des moyens efficaces.
8 – Ce sont les Déclarations américaines, inspirées par la philosophie du 18e siècle, qui vont affirmer des principes ayant une portée générale.
Il y a d’abord la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis du 4 juillet 1776, dont le préambule, souvent cité, témoigne de cette philosophie :
«Nous tenons pour évidentes, par elles-mêmes, les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur, de certains droits inaliénables ; parmi ces droits, se trouvent la vie, la liberté, et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés.»
9 -Il faut ajouter que la plupart des Constitutions des 13 colonies qui ont constitué, à l’origine, les Etats-Unis d’Amérique, comportent des Déclarations des Droits.
Par contre, la Constitution Fédérale, dans son texte initial, ne comportait pas de Déclaration des Droits, l’Etat Fédéral n’ayant pas, en principe, des relations directes avec les citoyens.
C’est seulement par des amendements ultérieurs et sous l’influence de la Déclaration Française des Droits de l’Homme, que des règles d’une grande importance en ce qui concerne le droit positif américain, ont été ajoutées en matière de libertés publiques.
10 – Mais le premier corps complet, ou se voulant tel, en la matière, est, de toute évidence, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui sera placée ensuite en tête de la Constitution Française de 1791. Les droits qu’elle énonce sont des droits naturels, inhérents à la nature humaine, identiques pour tous car “les hommes naissent égaux en droits» (article 1er), universels, par conséquent valables pour tous les hommes dans le temps et dans l’espace.
11 – Ces droits de l’homme sont des libertés telles que la liberté individuelle (article 7), la liberté, d’opinion (articles 10 et 11) ou des pouvoirs tels que «le droit de concourir à la formation a la volonté générale» (article 6), le droit de consentir à l’impôt (article 14) etc.
La Déclaration de 1789 place sur le même plan la liberté et la propriété : «La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidement, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.» (art. 17)
12 – On a souvent fait remarquer la différence entre les droits «naturels« énoncés par la Déclaration de 1789 et les «créances» de l’homme sur la société, telles qu’elles seront reconnues dans des textes ultérieurs.
La Déclaration de 1789 ne reconnaît pas aux citoyens le droit de demander à la société des prestations positives, comme on le trouve dans certains documents contemporains (droit à l’emploi, à la culture, etc.).
Les citoyens ont le droit absolu de tout faire mais non celui d’exiger. La seule limitation aux libertés proclamées par la Déclaration est celle qui résulte, pour chacun, de la liberté des autres. C’est la Loi, expression de la volonté générale, qui seule peut limiter la liberté du citoyen et dans le seul souci de sauvegarder l’exercice en commun de cette liberté.
13 – L’influence de la Déclaration Française des Droits de l’Homme a été considérable. De nombreuses Constitutions d’autres pays, s’en sont inspirées et l’ont même, souvent, reproduite. L’universalité affirmée par les rédacteurs de la Déclaration, s’est trouvée ainsi, confirmée. Mais en même temps que les idées de la Déclaration de 1789 se répandaient à travers le Monde, la philosophie qui lui sert de fondement était de plus en plus critiquée, notamment par le progrès des idées marxistes.
14 – Les partisans du socialisme scientifique faisaient valoir que l’Homme désigné dans la Déclaration de 1789 n’était qu’une abstraction. On ne peut proclamer des règles pour cet Homme abstrait, le même, depuis la création du Monde et sur la terre entière. En réalité, l’homme doit être envisagé historiquement et les règles de droit ne peuvent concerner que des hommes composant une société donnée. Les règles de droit ne sont que le reflet de cette société et elles sont édictées dans l’intérêt de la classe au pouvoir dans cette société. La Déclaration de 1789 a été l’un des instruments ayant permis l’accession de la bourgeoisie au pouvoir et la destruction de la vieille société féodale.
La propriété est identifiée à la liberté dont elle est l’un des éléments. Les libertés publiques sont énoncées d’une façon «formelle». Or, ce qui compte, ce n’est pas tant de se voir reconnaître une liberté, mais d’avoir les moyens de l’exercer. La liberté, la plus simple, à savoir la liberté d’aller et de venir, peut être exercée pleinement par celui qui en a les moyens. Elle est illusoire pour celui qui ne dispose pas des moyens matériels de l’exercer. Il en est ainsi de tous les «grands principes» de 1789.
Des libertés formelles en faveur d’un homme abstrait n’ont aucun sens pour le plus grands nombre et ne peuvent revêtir une forme concrète qu’il profit du petit nombre de privilégiés ayant les moyens d’exercer ces fameuses libertés.
15 – La classe ouvrière en lutte doit combattre pour obtenir les moyens matériels d’exercer les libertés. Mais c’est seulement après le triomphe du socialisme qu’elles pourront s’exercer pleinement dans une société qui en offrira à tous les moyens. Même dans la phase de la dictature du prolétariat apportant une série de restrictions à la liberté des capitalistes, on doit assister à un élargissement considérable de la démocratie pour l’immense majorité du peuple.
C’est pourquoi, dans les Constitutions des pays se réclamant du socialisme, on retrouve l’affirmation du droit pour tous les citoyens aux libertés publiques fondamentales, et l’affirmation que l’état en garantit la jouissance et procure les conditions matérielles d’exercice.
16 – La Constitution (Loi Fondamentale) de l’Union de la République Socialiste Soviétique dispose, dans son article 125 :
«Conformément aux intérêts des travailleurs et afin d’affermir le régime socialiste, la Loi garantit aux citoyens de l’U.R.S.S. :
a) La liberté de parole,
b) La liberté de la presse
c) La liberté des réunions et des meetings,
d) La liberté des cortèges et démonstrations de rues.
Ces droits des citoyens sont assurés par la mise à la disposition des travailleurs et de leurs organisations, des imprimeries, des stocks de papier, des édifices publics, des rues, des P.T.T., et autres conditions matérielles nécessaires à l’exercice de ces droits.»
L’article 87 de la Constitution de la République Populaire de Chine proclame :
«Les citoyens de la République Populaire de Chine jouissent de la liberté de parole, de presse, de réunion, d’association, de cortège et de manifestation. L’Etat garantit aux citoyens la jouissance de ces libertés en leur procurant les conditions matérielles indispensables.»
17 – Les Constitutions des pays se réclamant du socialisme se caractérisent non seulement par la volonté de donner un contenu concret à des libertés formelles, mais aussi par la reconnaissance, à côté des libertés classiques, de droits à des prestations économiques (droit à l’emploi, au repos, à l’assurance vieillesse et maladie, à l’instruction etc.)
Mais il faut dire que, sous l’influence des idées socialistes, les constitutions de pays capitalistes ont été amenées à reconnaître, à côté des libertés classiques, certaines formes de libertés économiques et sociales. Le contenu des Droits de l’Homme s’est élargi.
C’est ainsi que le préambule de la Constitution Française du 27 octobre 1946, incorporé dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1953, en vigueur, proclame:«Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglemente.»
Liberté syndicale, droit de grève, droit à l’emploi, droit à la protection de la santé, droit au repos et même aux loisirs, à l’instruction et à la culture, bref, toute une sérié de droits nouveaux viennent ainsi s’ajouter aux libertés classiques.
18 – Mais il ne faut pas croire que la simple insertion d’un droit dans un texte constitutionnel ni même l’affirmation que l’exercice de ce droit est garanti par l’octroi des moyens nécessaires, suffise a transformer des libertés formelles en libertés réelles.
Il n’en reste pas moins que des Droits de L’Homme de contenu sensiblement identiques, sont proclamés aujourd’hui, par la plupart des Constitutions ou Lois fondamentales des Etats. C’est à dire que ces Droits de l’Homme, ces libertés fondamentales sont presque partout reconnues comme des règles de droit.
19 – L’idée est donc venue de consacrer ces principe de plus en plus admis par tous les Etats au moins comme des principes idéaux dans un texte commun de caractère universel. Nous voulons parler de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948.
Nous examinerons, plus loin, le contenu de cette Déclaration et sa portée. Nous voulons, à ce stade de notre exposé, en rappeler les circonstances historiques.
La Deuxième Guerre Mondiale, en raison des actes de barbarie méthodiques et des massacres sans précédent de non-combattants perpétrés sur l’ordre d’Hitler, a revêtu le caractère d’une croisade des Droits de l’Homme. Dès la paix revenue et des la création,en avril 1945, par la Charte de San Francisco de l’Organisation des Nations Unies, la dite Charte faisait figurer parmi les buts essentiels des Nations Unies «le respect des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue, ou de religion».
En janvier 1947, était constituée, au sein des Nations Unies, une Commission des Droits de l’Homme, qui décida de préparer une Déclaration Internationale, d’une part, et, d’autre part, des pactes contenant à la fois les engagements juridiques précis et des mesures de mise en œuvre des obligations ainsi assumées.
En premier avant-projet de Déclaration fut rédigé par le Professeur CASSIN, représentant de la France, et aboutit, après de longs débats à la Commission et à l’Assemblée Générale, au vote, à Paris, le 10 décembre 1948, en assemblée plénière de l’O.N.U., par 48 délégations, en face de 8 abstentions, sans aucune voix contraire, du fameux texte de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Mais c’est seulement en 1954 que la Commission acheva l’élaboration des deux Pactes. Il fallu attendre encore jusqu au 16 décembre 1966 pour que l’Assemblée Générale des Nations Unies, grossie d’environ 60 nouveaux membres depuis 1948, adopte simultanément et à l’unanimité, les deux Pactes proposés par la Commission.
Encore faut-il ajouter que l’entrée en vigueur de chacun de ces Pactes est subordonnée à la ratification ou l’adhésion de 35 états au moins, ce qui est loin d’être fait. Parmi les ratifications récentes, signalons celles de la France et de l’U.R.S.S.
20 – Ce très rapide survol historique de l’évolution de la notion des Droits de l’Homme, doit s’achever en précisant que les deux Pactes Internationaux de 1966 sont relatifs, le premier, «Aux droits économiques, sociaux et culturels» et le second, «Aux droits civils et politiques».
Ce sont donc deux documents séparés qui traitent, d’une part, des libertés classiques et, d’autre part, des droits nouveaux.
Ajoutons, qu’en sus des deux Pactes, un protocole facultatif, se rapportant au Pacte International relatif aux Droits civils et politiques, a été soumis à la ratification des états. Ceux des Etats qui accepteront ce protocole, reconnaîtront au Comité des Droits de l’Homme, institué par le Pacte, compétence pour recevoir et examiner des communications de particuliers qui prétendent être victimes d’une violation des Droits de l’Homme.
Il est peu probable que ce protocole reçoive de nombreuses adhésions.
21 – Nous avons maintenant à examiner dans le détail, le contenu des Droits de l’Homme. Nous pensons que ce contenu est, au regard de l’ensemble des nations, celui qui résulte de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
C’est donc, selon ce texte, que nous allons passer en revue les Droits de l’Homme qu’il proclame en suivant le plan, d’après le commentaire de celui qui en est à l’origine, le Président René CASSIN.
Chapitre II : Contenu des droits de l’homme
22 – Les auteurs classent habituellement les libertés publiques en quatre catégories :
1) la sûreté de la personne qui condamne toute forme arbitraire de répression : «nul ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi» (article 7 de la Déclaration de 1789) ;
2) – Les libertés de la personne physique : libre disposition pour chacun de sa personne physique, liberté de circulation et aussi, liberté de certains prolongements directs et immédiats de la personne physique (correspondance, domicile, etc.) ;
3) Les libertés de la personne intellectuelle et morale ou libertés de la pensée :liberté d’opinion, de culte, de presse, de réunion, etc.
4) Les libertés sociales et économiques. C’est dans ce domaine qu’une évolution s’est manifestée, ainsi que nous l’avons vu. A l’individualisme libéral du 19ème siècle fondé sur le droit de propriété et la liberté d’entreprise, tendent à se substituer des libertés nouvelles telles que la liberté de grève et la liberté syndicale.
23 – C’est,en substance, ces diverses libertés qui sont énoncées dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Elle comporte un préambule et 30 articles. Le préambule affirme les idées inspiratrices des auteurs de la Déclaration :
– Reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables ;
– Rappel des conséquences tragiques de la méconnaissance et eu mépris des Droits de l’Homme et des actes de barbarie qui en résultent.
– Nécessité que les Droits de l’Homme soient protégés «par un régime de droit», afin que l’homme ne soit pas contraint «en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression.»
– Enfin, affirmation du lien existant entre le respect des Droits de l’Homme dans l’ordre interne et la paix entre les nations.
24 – En ce qui concerne le contenu proprement dit de la Déclaration des Droits de l’Homme, bien qu’aucun plan apparent n’existe, son ordonnancement, d’après le Président CASSIN, est le suivant :
– Les articles 1 et 2 concernent les principes généraux.
– Les articles 3 à 11 concernent les Droits et Libertés d’ordre personnel.
– Les articles 12 à 17 concernent les Droits de l’individu dans ses rapports familiaux, territoriaux et avec le monde extérieur.
– Les articles 18 à 21 concernent les libertés intellectuelles et les Droits politiques fondamentaux.
– Les articles 22 à 27 concernent les Droits économiques, sociaux et culturels.
– Enfin, les articles 28 à 30 marquent les liens entre l’individu et la Communauté Nationale et Internationale au milieu de laquelle s’exercent les libertés.
25 – L’article 1er reprend les notions de liberté, d’égalité et de fraternité, proclamées en 1789 :
«Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité».
L’article 2 rappelle que tous les droits et toutes les libertés proclamés dans la Déclaration concernent toutes les personnes «sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, le naissance ou de toute autre situation». Le même article stipule que le statut politique, juridique du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante est sans aucune influence sur les droits de cette personne aux libertés fondamentales proclamées par la Déclaration.
On peut dire que les principes généraux posés par les articles 1 et 2 proclament le caractère universel et perpétuel de la Déclaration.
26 – Il nous faut examiner maintenant le contenu proprement dit de la Déclaration :
a) Les droits et libertés d’ordre personnel :
27- Il s’agit des articles 3 à 11 qui reprennent les droits et libertés classiques proclamés dans plusieurs constitutions nationales du 19ème siècle :
– L’article 3 résume ces droits et libertés en une formule lapidaire : «Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne»
– L’article 4 interdit l’esclavage.
– L’article 5 interdit la torture : «Nul ne sera soumis à la torture, ni a des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants».
– «Chacun a le droit à la reconnaissance en tout lieu de sa personnalité juridique» (article 6).
– L’article 7 rappelle l’égalité de droit devant la loi et reconnaît à tous une protection égale contre toute discrimination violant la Déclaration et même, contre toute provocation à une telle discrimination.
– A l’égalité devant la loi, l’article 8 ajoute l’égalité devant les tribunaux et assure à toute personne un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la Constitution ou par la loi.
– L’article 9 rappelle la règle fondamentale selon laquelle «nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu…», mais ajoute «…ou exilé».
– L’article 10 assure à toute personne l’accès à un tribunal indépendant et impartial, tant pour statuer sur ses droits et obligations, que sur le bien-fondé de toute accusation dirigée contre elle.
– Enfin, pour en terminer avec cette première série, l’article 11 rappelle deux principes fondamentaux :
– la présomption d’innocence de tout accusé jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public avec toutes les garanties assurées à la défense.
– l’interdiction de toute condamnation pour des faits ne constituant pas, au moment où ils se sont passés, des infractions punies par la loi.
28 – Les articles 3 à 11 que nous venons de passer en revue sont la consécration internationale des libertés essentielles classiques, en ce qui concerne ce qu’on appelle la sûreté de la personne : l’esclavage, la torture, la discrimination, l’arrestation ou la détention arbitraire, l’exil, le refus de recours judiciaire, la condamnation sans procès ou par un procès déloyal, la condamnation pour des faits non prévus par la loi, tout cela constitue, en tout lieu et en tout pays, une atteinte à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
b) – Les droits de l’individu dans ses rapports familiaux, territoriaux et avec le monde extérieur :
29 – Il s’agit ici de droits qui se trouvent rarement dans les Constitutions du 19ème siècle mais qui figurent dans la législation interne de plusieurs pays. Les articles 12 à 17 sont consacrés à ces droits :
– Protection de la vie privée, du domicile et de la correspondance : «Nul ne sera l’objet d’immixtion arbitraire dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteinte à son honneur et à sa réputation» (article 12).
– Liberté de circulation : toute personne a le droit de circuler librement, de choisir sa résidence à l’intérieur d’un état, de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays (article 13).
– Droit d’asile : «devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays (article 141).
– Droit à la nationalité :«tout individu a droit à une nationalité et nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité ni du droit d’en changer” (article 15).
– Droit au mariage : il est proclamé sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion. L’homme et la femme ont des droits égaux. Le libre consentement est nécessaire. La famille a droit a la protection de la société et de l’état, (article 16).
– Droit de propriété : l’article 17 qui en traite est un de ceux qui ont donné lieu aux plus laborieuses discussions. Le texte adopté est le résultat d’un compromis habile : «Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit a la propriété. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété».
c) – Les libertés individuelles et les droits politiques fondamentaux :
30 – On retrouve ici un certain nombre de libertés fondamentales de type classique : liberté de pensée, liberté d’opinion, de réunion, d’association, etc. mais aussi le droit de participer aux affaires publiques, d’accéder aux fonctions publiques.
Etant donné l’importance de ces libertés et la précision du texte de la Déclaration à leur sujet, le mieux est de reproduire textuellement les articles qui leur sont consacrés.
– Liberté de pensée : «toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites» (article 18).
– Liberté d’opinion :«Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontière, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit» (article 19).
– Liberté de réunion et d’association : «Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques. Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association» (article 20).
– Droits politiques et d’accès aux fonctions publiques. Ces droits sont énoncés à l’article 21 de la déclaration qui comprend trois paragraphes.
Le premier consacre le droit de participer aux affaires publiques dans les termes suivants : “Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis» (article 21 § 1).
Le deuxième paragraphe de l’article 21 consacre le droit d’accéder aux fonctions publiques : “Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays» (article 21 § 2).
Enfin, le troisième paragraphe consacre le droit à des élections honnêtes : la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des Pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote» (article 21 §3).
d) – Les droits économiques, sociaux et culturels :
31 – Nous trouvons ici des dispositions dont le caractère de nouveauté n’est pas contestable, par rapport aux libertés classiques. Les principes généraux qui sont à la base de ces droits économiques, sociaux et culturels, sont formulés dans l’article 22 ainsi conçu :
– «Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte-tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays».
Il ne s’agit plus ici d’une liberté d’individu lui donnant le droit d’agir à sa guise, dans les limites de la loi, comme en matière de liberté d’expression, par exemple, mais d’une sorte de créance de l’individu sur la société en matière économique, sociale et culturelle. Nous avons vu précédemment, sous quelles influences, la théorie des droits de l’homme avait évolué dans ce sens.
32 – Les principes formulés à l’article 22 sont précisés aux articles 23 et suivants. L’article 23 consacre :
– le droit au travail : «Toute personne a droit au travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage» (paragraphe 1).
– La règle à travail égal, salaire égal : «Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal» (paragraphe 2).
Le droit à une rémunération équitable et satisfaisante : «Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale» (paragraphe 3).
Les libertés syndicales : «Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts» (paragraphe 4).
33 – L’article 24 consacre non seulement le droit au repos par une limitation raisonnable de la durée du travail, mais aussi le droit aux loisirs par des congés payés périodiques : «Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques».
34 – L’article 25 consacre le droit à un niveau de vie suffisant, à la sécurité, à l’aide à la maternité et à l’enfance.
– Droit a un niveau de vie suffisant : «Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires».
– Droit à la sécurité : «Elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté».
– Protection de la maternité et de l’enfance : «La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciales. Tous les enfants, qu’ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale».
35 – L’article 26 est consacré à l’éducation. Le droit à l’éducation est ainsi précisé : «Toute personne a droit a l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé : l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite» (paragraphe 1).
– Les buts de l’éducation sont les suivants : «L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations-Unies pour le maintien de la paix» (paragraphe 2).
– Enfin : «Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants» (paragraphe 3).
36 – Enfin, l’article 27 est relatif aux droits culturels. Il prévoit d’une part, que «Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent» (paragraphe 1) ;
et d’autre part, que «Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur» (paragraphe 2).
e) – Les liens entre l’individu et la communauté :
37 – Les trois derniers articles de la Déclaration Universelle expriment davantage un idéal que des règles de droit.
En: effet, malgré l’emploi du mot «droit», l’article 28 ne peut être interprété que comme un vœu : «Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet».
L’article 29 rappelle, dans des termes assez vagues, que l’individu a également des devoirs envers la communauté et que ses droits ont des limites. L’homme doit respecter les droits et libertés d’autrui et doit satisfaire «aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique». En aucun cas, les droits et libertés reconnus aux individus ne pourront s’exercer contrairement aux buts des Nations-Unies.
L’article 30 clôture la Déclaration en précisant qu’aucune disposition ne pourra être interprétée «comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés».
38 – Le rappel auquel nous venons de procéder des principales dispositions de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme n’avait pas pour objet d’en dégager la signification politique et philosophique mais simplement de faire un bilan des principaux droits et des principales libertés que la communauté internationale définit sous les vocables Droit de l’Homme.
Il nous faut maintenant procéder à un autre bilan, celui de tous les textes internationaux, soit universels, soit particuliers à l’Amérique Latine.
Chapitre III : Les textes internationaux sur les droits de l’homme
39 – Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de s’attarder sur le cas des conventions multilatérales conclues en vue de protéger des droits déterminés de la personne humaine : Convention internationale interdisant l’esclavage (Bruxelles 2 juillet 1890, Genève 25 septembre 1925 et 7 septembre 1956), traités divers multilatéraux en vue de la protection de certaines minorités, Convention internationale sur l’élimination de tous les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965, Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 etc.
40 – En ce qui concerne les actes internationaux visant à la protection globale des droits de l’homme, il va sans dire que le texte le plus important est la Déclaration Universelle de 1948 que nous avons étudiée précédemment dans toute ses dispositions. Nous avons déjà rappelé que cette Déclaration avait été précédée d’un rappel sommaire des principes des droits de l’homme dans la Charte des Nations Unies.
Nous devons ajouter que, par une résolution du 16 décembre 1966 l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion les instruments constituant les Pactes Internationaux relatifs aux droits de l’homme.
41 – Ces instruments internationaux sont au nombre de trois :
a- le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels;
b- le Pacte international relatif aux droits civils et politiques;
c- le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Les deux premiers documents ont été adoptés à l’unanimité, le troisième à la majorité de 66 contre 2 et 38 abstentions.
42 – Les deux Pactes ont pour objet d’engager les Etats qui les ratifieront à respecter les dispositions de la Déclaration Universelle. Les dispositions des Pactes doivent devenir partie intégrante de la législation des pays qui apporteront la ratification ou leur adhésion. Toutefois, l’entrée en vigueur des Pactes est subordonnée à la ratification ou l’adhésion de 35 Etats au moins, ce qui n’a pas été réalisé jusqu’à présent.
43 – Une place à part doit être faite à un certain nombre de textes, de valeurs inégales, se rattachant à un plan d’ensemble. Ces textes représentent une centaine de conventions et recommandations adopté depuis 1920 par l’O.I.T. en matière de travail. Il n’apparaît pas nécessaire d’entrer dans le détail de tous ces textes dans lesquels se retrouvent, avec des précisions quant à leur application, un certain nombre de principes définis par le Déclaration Universelle.
44 – Deux autres documents importants sont constitués par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 portant statut international des réfugiés et par la Convention Internationale de Genève relative au statut des apatrides du 28 septembre 1954.
45 – Nous ne parlerons que pour mémoire, de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, signée à Rome le 4 novembre 1950. Quelque soit l’importance de cette Convention, elle se situe dans un secteur géographique tout à fait différent de celui de notre tribunal.
46 – Il est, selon nous, un texte important, intéressant particulièrement les droits de l’homme qui est rarement cité à leur sujet. Il s’agit du fameux article 3 qui se retrouve exactement dans les mémés termes dans les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949. On sait que ces quatre Conventions sont relatives au temps de guerre. Elles concernent le sort des blessés, des naufragés, des prisonniers de guerre et des personnes civiles. L’application de ces Conventions suppose un état de guerre. Mais l’article 3 est relatif seulement à l’hypothèse d’un «conflit armé ne présentant pas un caractère international». Ce texte est ainsi conçu :
«En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes :
1° Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour tout autre cause, seront en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue.
A cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus :
a- les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices;
b- les prises d’otages ;
c- les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ;
d- les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés.
2° Les blessés et malades seront recueillis et soignés. Un organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux Parties au conflit. Les Parties au conflit s’efforceront, d’autre part, de mettre en vigueur par voie d accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente Convention.
L’application des dispositions qui précèdent n’aura pas d’effet le statut juridique des Parties au conflit.»
47 – L’article 3 des Conventions de Genève que nous venons de citer représente le minimum qu’un Etat doit respecter sur son territoire, en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international. A fortiori, doit-on admettre que c’est le minimum qu’un état doit respecter dans la répression de ceux qu’il tient pour ses adversaires, même en cas de conflit non armé.
48 – Ainsi que nous l’avons indiqué, à côté des documents universels, il existe en matière de droit de l’homme une série d’instruments internationaux propres au continent américain.
La Charte de l’organisation des Etats Américains de Bogota, comme l’avait fait la Charte des Nations Unies de 1945, a rappelé les principes fondamentaux des droits de l’homme. Les états américains,
«Convaincus que la mission historique de l’Amérique est d offrir à l’homme une terre de liberté et un milieu favorable au plein développement de sa personnalité et à la réalisation de ses justes aspirations ; sûrs du fait que le véritable sens de la solidarité américaine et du bon voisinage ne peut se concevoir qu’en consolidant dans ce continent et dans le cadre des institutions démocratiques un régime de libertés individuelles et de justice sociale basé sur le respect des droits fondamentaux de l’homme… Ont convenu de signer la Charte suivante…»
Parmi les principes énoncés dans la Charte ainsi motivée figure à l’article 5 J, la disposition suivante :
«Les Etats Américains proclament les droits fondamentaux de la personne humaine sans aucune distinction de race, de nationalité, de religion ou de sexe».
49 – La même année 1948 était adoptée, toujours à Bogota, la Déclaration Américaine de droits et devoirs de l’homme. Cette déclaration, moins complète que ne sera la Déclaration Universelle n’en contient pas moins un énoncé de Droits de l’Homme dans lequel on retrouve les principaux principes inclus auparavant dans les constitutions nationales. Sont proclamées les principes bien connus sur la sûreté de la personne, sur la liberté d opinion et d’expression, sur la liberté de circulation, sur l’inviolabilité de domicile et de la correspondance, et sur la présomption d’innocence et le droit à un procès loyal, sur le droit d’asile etc. Mais aussi un certain nombre de droits économiques et sociaux: droit au travail, au repos, à la vie culturelle, à la participation au gouvernement par des élections honnêtes etc.
50 – Toujours à Bogota et toujours en 1948, les Etats Américains adoptent, «comme déclaration des droits sociaux du travailleur», la Charte internationale Américaine de garanties sociales. On retrouve dans cette charte plusieurs des principes ayant figuré dans les recommandations de l’OIT.
51 – Nous devons encore signaler, car elles ont encore une grande importance pour l’appréciation de certains faits qui seront évoqués au cours des débats, les deux conventions inter-américaines de Caracas du 28 mars 1954 sur l’asile territorial et l’asile diplomatique. Des précisions sur ces deux conventions seront apportées au cours des débats.
Chapitre IV :caractère obligatoire des principes sur les droits de l’homme
52 – Le moment est venu de nous interroger sur la portée et le caractère obligatoire de tous ces textes internationaux proclamant les droits de l’homme. Peut-on considérer de tels principes comme faisant partie du droit positif ? Dans ce cas, existe-t-il, à coté du droit positif de chaque État, un droit positif international rendant obligatoire le respect des droits de l’homme ?
Ce droit est-il obligatoire à l’égard des citoyens de chaque État seulement ou, peut-on dire que chaque État se trouve lié à l’égard de la communauté internationale en ce qui concerne le respect des droits de l’homme sur son territoire ?
53 – Pour ce qui est des Déclarations et notamment la Déclaration Universelle, il a toujours été admis que ces textes n étaient pas créateurs de droit mais représentaient un idéal à atteindre.
Le préambule de la Déclaration Universelle commence par «L’Assemblée Générale proclame la présente Déclaration Universelle des Droits de l’Homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelle et effective, tant parmi les populations des Etats membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous leur juridiction.
54 – Si la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme n’a pas la valeur d’un accord international, il en est différemment des autres instruments internationaux revêtant la forme de Pactes et de Conventions ratifiés par les états signataires. On se trouve là en présence de Traités internationaux qui ont la valeur d’obligations internationales. Malheureusement les deux Pactes de 1966 qui sont la meilleure traduction en forme d’obligation internationale des principes de la Déclaration Universelle n’entreront en vigueur qu’après 35 ratifications ou adhésions et nous n’en sommes pas encore là.
55 – On admet que le droit international positif est défini par l’article 38 du statut de la Cour internationale de Justice qui dispose :
«La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différents qui lui sont soumis, applique :
a – les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les Etats en litige ;
b – la coutume internationale comme preuve d’une pratique générale, acceptée comme étant le droit ;
c- les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ;
d- sous réserve de l’Article 59, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit.»
Si l’on considère, avec la plupart des auteurs, que cet article 38 énonce le contenu du droit international, ne peut-on considérer les droits de l’homme comme des «principes généraux de droit reconnus par les nations civilisés»?
Selon le Président René Cassin, la notion mémé des droits de l’homme était certainement incluse, dès l’origine, parmi les principes généraux, tels que la Cour permanente de Justice internationale doit les appliquer au règlement des différends internationaux. La Charte des Nations Unies a fait selon Monsieur Cassin, du respect de ces droits, en général, une règle positive de droit international conventionnel.
Si l’on ne peut soutenir, ajoute-t-il, que tous les principes proclamés par la Déclaration et chacun d’eux, soient déjà entrés dans le domaine de l’article 38, un grand nombre le sont actuellement et au fur et à mesure du développement des applications positives de la déclaration, un nombre croissant de ces éléments acquièrent l’autorité d’un principe général au sens de l’article 38.
56 – Nous pensons qu’il faut aller plus loin. Si l’on tient compte que trente années bientôt se seront écoulées depuis la déclaration de 1948, si l’on tien compte du vote à l’unanimité par l’Assemblée Générale des Nations Unies des deux Pactes, si l’on tient compte de l’inclusion des principes de la Déclaration Universelle dans de nombreux textes de caractère international, si l’on tient compte de la Déclaration de Bogota ou de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, si l’on tient compte des divers traités internationaux visant à protéger des droits déterminés de la personne humaine, si l’on tient compte enfin des nombreuses résolutions des Nations Unies, relatives aux droits de l’homme, ne peut-on pas admettre que les droits et libertés proclamés en 1948 par la Déclaration Universelle sont devenus un corps de principes généraux du droit international, représentant le droit positif?
Si chacun des faits que nous avons cités ci-dessus ne constitue pas, à lui seul, une source d’obligation de la Déclaration Universelle toute entière, l’ensemble de ces faits constitue la preuve que les dispositions de la Déclaration Universelle ont cessé d’être un idéal pour devenir des principes de droit, alors surtout que la plupart de ces principes se sont trouvés incorporés depuis 1948 dans les Constitutions de nombreux Etats ayant accédé à l’indépendance .
57 – Sans doute objectera-t-on que dans la pratique, les droits de l’homme sont de moins en moins respectés à travers le monde et que les plus graves violations sont, tous les jours, révélées.
Chaque Etat est prêt à dénoncer la violation des droits de l’homme chez les autres sans jamais accepter de la reconnaître chez lui.
Mais il ne faut pas perdre de vue que ces violations sont toujours ce qu’on pourrait appeler des violations «honteuses», peu d’Etats revendiquant le droit de ne pas respecter les règles générales de la Déclaration Universelle.
Quand un Etat est accusé de tolérer la torture, de se livrer à des parodies de procès, de procéder à des arrestations arbitraires etc., il répond en niant les tortures, en affirmant que les procès sont tout à fait réguliers, et en soutenant qu’il n y a que des arrestations légales.
Tous les Etats reconnaissent donc la valeur obligatoire des principes des droits de l’homme, leur valeur comme règle de droit. Ce consensus universel doit être interprété comme la reconnaissance d’une obligation universelle.
58 – Mais dis-t-on, où est la sanction et qui a qualité pour la prononcer ? Il ne faut pas confondre l’existence d’une règle de droit et l’existence d’une sanction au cas où elle n’est pas respectée. Le droit international public est un ensemble de règles fondé sur des traités, sur la coutume et sur les principes généraux qui peuvent n’être accompagnés d’aucune sanction. En effet il n’existe ni juridiction internationale (la compétence de la Cour internationale de Justice est très limitée) ni une force publique internationale. Au surplus, la création d’une Juridiction internationale des droits de l’homme pose des problèmes très complexes. Quant à la création d’une force publique internationale, nous pensons qu’elle serait tout à fait inopportune et même dangereuse, dans l’état actuel du monde. Tout au plus, peut-on envisager la mise en œuvre de divers procédés de contrôle comme cela a été tenté dans les Pactes de 1966.
59 – En réalité, dans l’état actuel des choses, le seul recours possible est le recours à l’opinion publique. Ce recours se trouve renforcé dans la mesure ou l’opinion publique est convaincu que le comportement des Etats qui violent les droits de l’homme est non seulement un comportement condamnable sur le plan moral et politique, mais est aussi un comportement illégal.
Certes, il faut distinguer violation et violation. Toute violation, même isolée, même fortuite, même au service de la meilleure des causes d’une règle relative aux droits de l’homme est moralement condamnable, mais ne constitue pas un affront à la communauté internationale.
Lorsque la violation est systématique et organisée, la responsabilité de l’Etat qui s’en rend coupable se trouve engagée au regard des autres nations. Le droit international, dans ses principes généraux, se trouve atteint même s’il n’y a pas une autorité compétente pour le dire.
60 -Il est tout à fait légitime à de simples citoyens qui n’ont reçu de mandat de quiconque de se réunir pour examiner les accusations portées contre certains Etats, de vérifier si elles sont ou non fondées et de les déclarer, éventuellement contraires à la Loi internationale. C’est ce qui distingue notre entreprise des commissions d’enquêtes et d’investigation. A partir du moment où l’on ne se borne pas à constater des faits, mais on les confronte avec des règles de droit, on devient qu’on le veuille ou non un Tribunal.
Si l’on veut que ce tribunal puisse parler au nom de l’opinion publique, il faut que les accusations soient scrupuleusement étudiées, que les preuves soient rigoureusement examinées, et qu’il puisse se référer à des normes juridiques précises.
Nous pensons que notre entreprise réunit toutes ces conditions.
in: Archivio Fondazione Basso